Keep it wild!

Farouches, féroces, effrénées, frénétiques, tumultueuses, hagardes, sauvages, dangereuses… autant de tentatives de traductions que l’on pioche au gré des dictionnaires pour ce petit mot de quatre lettres : « Wild ».

 « Sauvages » et « dangereuses » : les photos de Patricia de Solages le sont. Témoin contemplatif et privilégié des origines, la photographe nous avait initiés jusqu’ici à côtoyer l’harmonie dans la matrice d’un monde devenu fragile. Sortant de son refuge, la voici qui pointe son objectif, tel un doigt, vers une réalité qui nous dérange.

La contemplation fait place au choc ! À l’analyse, peu de choses pourtant séparent ces clichés des séries précédentes. Patricia de Solages reste femme d’eau : la glace, l’air et l’océan remplissent toujours ses yeux… mais de manière si différente. 

 
 

Le choix du support provoque notre premier trouble… La photographe s’empare d’un médium unique – des couvertures de survie – et nous impose une matière que nous rattachons naturellement aux catastrophes, aux épidémies, aux guerres… à cette perte insupportable de contrôle de notre avenir, de notre destin. Par ce choix, Patricia de Solages nous rappelle cette évidence : la photographie est aussi un objet ! L’écriture du monde demande un support. L’ayant précédemment choisi en papier japonais, l’artiste aimait jouer avec ses grains et ses plis, pour mieux les confondre avec son sujet de glace et de roche. Rien de tout ceci dans son nouveau travail. La matière se veut lisse et métallique. Ses plis sont parfaits, réguliers, mécaniques. La photographe veut éviter toute possibilité d’esthétisme. Le papier n’est pas de mise. Reste ce support miroitant de lumière comme une mer dans l’Arctique. Si la couverture isotherme réchauffe celui qui la porte, elle glace celui qui l’observe.

Parler de tempêtes sur des couvertures de survie ! Le choix du sujet est un appel à notre humanité. Un appel qui se fait assourdissant par l’absence même de toute trace humaine sur les clichés. Où sont-ils, ces migrants jetés à la mer ? Où sommes-nous ? Sommes-nous circonscrits à cette ombre que nous devinons vaguement dans le reflet des couvertures réfléchissantes ? Patricia de Solages est mexicaine. La question des réfugiés résonne au cœur de ses racines. Ressortissante d’un pays de migrations, elle a connu dans son enfance des membres de sa famille partis sans papiers à la conquête d’une vie meilleure aux Etats-Unis. Là-bas, les migrants portent un nom : les Mojados, les Mouillés… il faut accepter de se mouiller lorsqu’on veut traverser le Rio Bravo ou le Golfe du Mexique. Le rêve d’une vie meilleure est à ce prix.

 
 

Le monde s’emballe, l’homme se déshumanise et la terre se dépouille. Réchauffement climatique, fonte des glaces aux pôles, réfugiés politiques, économiques, climatiques… À l’opposé des décideurs qui parlent de frontières et limitent l’univers à la taille de leur pays, Patricia de Solages continue sans trêve à nous révéler les réalités mouvantes d’une planète pour laquelle nous devons nous battre. Ses vagues sont dangereuses et belles comme une estampe d’Hokusai. Ecumeuse dans ses griffes et ses tourbillons, la tempête nous y aspire comme dans les huiles d’Aïvazovski. Chez elle, la beauté vénéneuse des flots peut faire place à la force d’un coucher de soleil s’éternisant au milieu des glaces ! Blessée, c’est toute la beauté de notre terre qui se réfugie dans les couvertures de Patricia de Solages ! Inspirée et sans concession, sa photographie finit toujours par s’ouvrir au sublime et à rencontrer l’espoir . 

 Axel Van der Stappen